(RSV)
Ni le président ni le Premier ministre ne disposent du droit de sanctionner un ministre, clarifie Me Napoléon Lauture
Les violons ne s’accordent toujours pas entre les deux branches de l’exécutif. Après l’épisode New York, le nouveau bras de fer qui oppose l’administration CPT-Conille concerne le forcing des conseillers présidentiels pour révoquer l’actuelle ministre des Affaires étrangères Dominique Dupuy. Invité à Panel Magik le mercredi 16 octobre, Me Napoléon Lauture a analysé cette situation au regard de la Constitution.
De part et d’autre, Le Nouvelliste a été informé d’une résolution prise par le Conseil présidentiel de transition (CPT) qui aurait interdit la participation au Conseil des ministres à la ministre des Affaires étrangères Dominique Dupuy. Cette interdiction aurait été appliquée après que la ministre a boudé une convocation du CPT, afin de s’expliquer sur les cafouillages entourant la participation des délégations haïtiennes à la 79e Assemblée générale en septembre dernier.
Invité à l’émission Panel Magik, Me Napoléon Lauture, spécialiste en droit administratif, a analysé cette décision, indiquant que l’exécutif ne fonctionne pas selon la légalité constitutionnelle. « Tout est politique. Cette résolution qui aurait été votée a un caractère politique, car la Constitution ne donne aucun pouvoir ni au président ni au Premier ministre de prendre une quelconque décision à l’encontre d’un ministre. Dans la légalité constitutionnelle, l’autorité qui détient le pouvoir de révocation, c’est le Parlement », a déclaré Me Napoléon Lauture.
Selon l’analyse de Me Lauture, la Constitution prévoit trois manières de cessation de la fonction gouvernementale : décès du ministre ou démission volontaire, par démission du Premier ministre ou en cas de renvoi par le Parlement du ministre suite à une interpellation aboutissant à une vote de censure.
« Nous sommes en dehors du droit », a déploré Me Lauture. « Au plus haut sommet de l’État, il ne devrait y avoir de friction ni de rupture surtout dans ce contexte particulier, avec un conseil présidentiel multicéphale », a expliqué le spécialiste en droit administratif sur les ondes de Magik 9.
« La Constitution haïtienne prévoit une répartition du pouvoir entre le Parlement, le président qui détient des pouvoirs personnels et des pouvoirs partagés, et le Premier ministre. Selon la Constitution, le Premier ministre a l’initiative de la conduite de la politique de la nation et c’est lui qui détient le pouvoir de nomination et de révocation au sein de l’Administration publique. Le président détient le pouvoir d’assurer le respect de la Constitution, la stabilité des institutions et la pérennisation de l’État », a-t-il clarifié.
Après la participation des délégations haïtiennes à la 79e Assemblée générale de l’ONU et les nombreux cafouillages qui ont eu lieu, dans une correspondance adressée à Mme Dupuy, signée par le directeur de cabinet du CPT, Jean-Victor Harvel Jean-Baptiste, le CPT a convoqué la ministre afin de « clarifier les malentendus qui ont eu lieu autour de l'agenda de la délégation haïtienne à la 79e session de l'Assemblée générale des Nations Unies. »
« Il vous est demandé d'amener avec vous les copies des correspondances relatives aux demandes de rencontres bilatérales sollicitées pour le CPT, ainsi que celles qui concernent la protection à accorder aux hautes personnalités de la délégation haïtienne », avait précisé l’acte de convocation.
Fixée au mercredi 2 octobre, Dominique Dupuy n’a pas donné suite à la convocation. En lieu et place, le Premier ministre Garry Conille, dans une correspondance responsive au CPT, a demandé l'annulation de cette convocation, évoquant des vices de forme.
«En effet, elle [la convocation] ne respecte pas les usages et procédures établis en matière de bonne gouvernance. D'une part, elle s'écarte des dispositions de la Constitution amendée de la République d'Haïti, en particulier les articles 156 et 159, qui stipulent que le Premier Ministre est le Chef du gouvernement et détient, en collaboration avec le Président de la République, l'autorité sur les membres du gouvernement », avait écrit le chef du gouvernement aux membres de l’autre branche de l’exécutif.
Dans sa correspondance, M. Conille a rappelé que les ministres ʺsont placés sous son autorité directeʺ, soulignant que ʺtoute interaction formelle avec les membres du gouvernement, y compris les convocations, doit être faite en étroite concertation avec le Chef du gouvernementʺ.
Arrivé à la tête du CPT, la première décision de Leslie Voltaire a été de relancer la polémique. Dans une lettre adressée au Premier ministre, le coordonnateur du CPT a indiqué à M. Conille que ses ʺréférences sont erronéesʺ et ses ʺarguments sont sans fondementʺ.
« […] Je crois qu'il est important de vous rappeler que le Conseil présidentiel de Transition, dans l'exercice des pouvoirs conférés au Président de la République, constitue le Chef de l'État et le Chef du Pouvoir exécutif. En ces qualités, et conformément aux dispositions de l'article 136 de la Constitution, le Conseil Présidentiel de Transition doit veiller au respect et à l'exécution de la Constitution et à la stabilité des institutions. Il lui incombe d'assurer le fonctionnement régulier des Pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État. Et pour ce faire, il peut convoquer, par le moyen qu'il juge approprié, tout membre du gouvernement sans concertation préalable avec le Chef du Gouvernement, notamment pour obtenir des informations sur le fonctionnement des institutions », avait détaillé Leslie Voltaire.
Interrogé lors de sa participation à la matinale de Magik 9 sur la possibilité pour un président de la République de passer des instructions directes à un ministre, Me Lauture a répondu par la négative. « La Constitution ne prévoit pas de moyen, pour un président de la République, de passer des instructions directes à un ministre, a-t-il dit. Dans le cadre du fonctionnement du gouvernement, il y a le Conseil des ministres, qui est convoqué par le président, où sont décidées les grandes décisions stratégiques », a poursuivi Napoléon Lauture, expliquant que cet espace collégial est le lieu idéal pour aborder les questions liées aux ministères.
Lors de sa participation à l’Assemblée générale de l’ONU, Leslie Voltaire avait été recalé par le protocole brésilien en voulant participer à une rencontre bilatérale entre Garry Conille et Lula da Silva. Après cette mésaventure, M. Voltaire avait dénoncé ʺun coup d’État diplomatiqueʺ et menacé que ʺdes têtes vont tomberʺ.