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(RSV)
Le CPT au pied du mur

Les murs enduits de fumé, le discret crépitement d’un reste de brasier, des cadavres abandonnés, dans quartiers vidés après l’assaut des gangs, l’angoisse terrifiante, le spectre de la mort, la fuite dans le désarroi avec un baluchon pour tout bagage…, constituent la trame de tant de vies, à Port-au-Prince, la capitale d’Haïti.


Les membres du CPT
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Les murs enduits de fumé, le discret crépitement d’un reste de brasier, des cadavres abandonnés, dans quartiers vidés après l’assaut des gangs, l’angoisse terrifiante, le spectre de la mort, la fuite dans le désarroi avec un baluchon pour tout bagage…, constituent la trame de tant de vies, à Port-au-Prince, la capitale d’Haïti.

Hier Solino. Aujourd’hui Nazon. Port-au-Prince se rétrécit, comme l'a écrit Frantz Duval, rédacteur en chef du Nouvelliste cette semaine. Du jour au lendemain, des vécus s’effondrent comme un château de cartes. 85 % de la capitale sont passés sous le contrôle des gangs. C’est l’ONU qui le dit. Avant c’était 80 %. Le mal est en métastase. Les bandits se mettent en scène. Ils savourent leurs forfaits. Ils distillent et amplifient la terreur. Avec ou sans antennes accueillantes pour « expliquer » leurs intentions et projets que tous voient et vivent. Depuis des années. C’est une politique de terreur, de destruction, de terre brûlée. De rançonnement de ce qui reste d’activités commerciales sur le littoral, le transport de carburant, de produits de première nécessité, entre-autres.

Par rapport à l’avancée des gangs, la chute de tout Port-au-Prince est redoutée. Si l’on se fie au décompte de l’ONU, ils ne restent que 15 % de territoire à conquérir, avec Pétion-Ville comme ultime rempart, Canapé-Vert, un bastion de résistance. Port-au-Prince est la capitale politique et économique d’Haïti. Sa chute ne serait pas anodine. Elle serait celle d’Haïti. L’on complètera alors toutes les cases de prises d’armes et de marche sur Port-au-Prince pour saisir le pouvoir politique, comme pendant le XIXe siècle.

L’asphyxie des régions

Entre-temps, les régions, asphyxiées, jonglent avec l’inflation, l’aggravation de l’insécurité alimentaire. Pour le grand Sud, c’est le calvaire depuis le 1 juin 2021. Depuis la prise du centre-ville de Gressier en mai 2024, par le gang des 103 zombis, plusieurs millions d’habitants du grand Sud qui regroupe quatre départements géographiques, vivent le martyre. Ils sont aujourd’hui confrontés au ralentissement des activités économiques, à l'aggravation du chômage et à des prix des produits de premières nécessité jamais atteints, même lors des émeutes de la fin de 2008 ayant emporté le gouvernement de Jacques Edouard Alexis.

Gare au bruit des estomacs vides

Le bruit des estomacs vides n’est pas une fiction, son potentiel de heurts sociaux non plus. Le reconnaître est une chose. Prévenir de possibles casse une obligation. Des actions humanitaires, la distribution de nourriture, n’est qu’un sparadrap si le problème sécuritaire n’est pas résolu à Martissant et Gressier. 

Le CPT, le PM Alix Didier Fils-Aimé, le DG de la PNH Rameau Normil sont aux affaires. Ils ont la responsabilité des vies et des biens. Ils sont cependant décalés. Ils laissent l’impression, en dépit des discours et de la bonne volonté affichée, de vivre dans un univers parallèle. Une bulle pour trouver une raison de prétendre alors que la réalité est celle qu’elle est et que des millions de gens rongent leurs freins d’impatience, espérant qu'arrive enfin le jour où ils pourront reprendre le cours de leurs vies, survivre, jouir d’un tant soit peu de tranquillité, de paix d’esprit.

Sourde colère

Pour le moment, le désespoir est immense. La colère aussi. Cette colère, pulsionnelle, rageuse face à l’abandon. Le CPT, une invention compliquée, un défi à la sociologie politique haïtienne, déçoit. Profondément. L’on fait des constats. Relève des évidences. La pendule politique balance entre les deux courants politiques de ces trente-six dernières années. Le résultat de cette expérience est sous nos yeux. C’est l’effondrement. Le spectre de la désintégration s’étend.  L’expérience politique en cours suscite une grande indifférence. De la déception aussi. Celle de certains tuteurs qui croyaient sincèrement que ce « large consensus », que cette formule de gouvernance avec des acteurs compétiteurs pour conduire aux élections marcherait. Ces tuteurs, au moment de pousser Ariel Henry vers la sortie, pensaient que ses interfaces étaient des démocrates, que partage de responsabilité pourrait dire autre chose que partage du gâteau. Cette fois. Au moins. La bourde du « Blanc » est dans ce vécu observé depuis tant d’années. Le pays paie le prix de l’entêtement à partir à l’aventure, à expérimenter encore et encore de vraies mauvaises solutions politiques. Mais, tout n’est pas la faute du « Blanc » au pays du « Se pa fot mwen ». Notre vérité, la vérité, est que la pâte, notre pâte, est mauvaise, comme l'a dit un jour un grand connaisseur des Haïtiens. Que le champ est souvent laissé libre à une représentation politique - mais pas que - sans ancrages populaires réels, sans souci réel de légitimation auprès de la population, de recherche de la stabilité, du progrès.

Le CPT et les illusions à éviter

Le CPT peut se bercer d’illusions. Mais il a un déficit de crédibilité, de légitimité. Les dégâts sur son image à cause de la gestion du scandale de la BNC n’est pas son seul problème. Le CPT traîne un passif, un déficit de confiance. Comment éviter que ce déficit de confiance n’envoie le processus électoral au fond des océans. La main mise du pouvoir par le CPT n’a même pas été maquillée. Qu’on le reconnaisse ou non, ces dernières semaines ont fourni des indications indéniables. L’expérience politique en cours a des fragilités intrinsèques qu’il faut accepter, assumer. Et corriger à temps. Si c’est encore possible.

Le CPT ne doit pas commettre la même erreur que le PM Ariel Henry. Croire qu’il est incontournable serait une grave erreur. Le CPT a perdu des appuis, n’a pas un chèque en blanc ni des Haïtiens ni des « Blancs ». Il est attendu au tournant de décisions difficiles et courageuses. Du nettoyage incontournable à faire dans ses rangs, des progrès à faire sur le front sécuritaire et politique. Il y a le tic-tac indéniable d’une montre que le CPT se doit d'écouter.

Rien ne garantit que des acteurs politiques qui sont autour de la table pour diverses raisons, donneront la caution politique quand viendra le temps d'avancer avec une nouvelle constitution, les élections. Surtout après les dénonciations de coup d’Etat contre l’Accord du 3 avril 2024, du passage en force pour renverser Garry Conille et installer Alix Didier Fils-Aimé.  

L’année 2024 va s’achever. Les premiers mois de 2025 mettront tout le monde au pied du mur. On connaîtra assez vite tous les protagonistes de cette guerre de tranchée à venir. Le CPT, sans un revirement, des ondes de chocs et une volonté de réussir, sera en face de ses échecs. En 2025, le conseil ne pourra plus dissimuler son manque de résultats probants et déterminants pour la réussite de la transition. Les discours mielleux deviendront rances et insipides sans avancées concrètes sur le front de la sécurité qu’il faudra démontrer. Le CPT est au pied du mur et à la croisée des chemins. Le temps file.

Le temps commence à manquer alors que se dessine, au grand dam du pays, un possible destin de château de cartes pour le CPT. Comme pour rappeler que c’est l’Etat qui est SDF, perd de sa force, lorsqu’un habitant de Solino, de Nazon, est contraint de fuir. Beaucoup de ces gens, plus d’un demi-million, contraints de fuir, comme cette dame de Solino, sont convaincus que les groupes criminels sont au service de cet État dirigé aujourd’hui par le CPT. En politique, la perception est souvent importante. Et la colère que cela suscite ne devrait pas être sous-estimée par ce conseil qui est au pied du mur et à la croisée des chemins.
RADIO SERUM VERITE.


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